J ’ai découvert Libreville (sous le vocable Libreville, j’inclus Akanda et Owendo) à l’occasion de plusieurs séjours professionnels en 2007 et en 2013. En la parcourant de long en large, de Akanda au nord à Owendo au sud et jusqu’au PK 12 à l’Est, j’ai pris connaissance de l’urbanisation et de la voirie.
Parmi toutes les choses qui m’ont frappé, certaines favorablement comme l’accueil de ses habitants, d’autres défavorablement, j’ai été choqué par l’absence d’un réseau de transports urbains digne de ce nom, avec toutes ses conséquences dommageables pour la vie de ses habitants.
C’est compliqué de se déplacer.
Pour se déplacer, il y avait la marche à pied, mais en parcourant toute la route de Glass, du cours Pasteur à Lalala à pied, j’ai pu me rendre compte combien c’était pénible de marcher, compte-tenu du climat. Il y avait m’a-t-on dit, des bus urbains, et surtout il y avait les taxis. En ce qui concerne les bus urbains, je n’en avais pratiquement pas vus, et je n’avais pas trouvé ni de plan, ni d’horaires, que ce soit en ville ou sur internet. D’après la presse, et mes relations, il y a eu une légère amélioration depuis, avec l’arrivée de bus construits au Brésil, mais 60 bus pour tout Libreville, c’est nettement insuffisant.
En ce qui concerne les taxis, seul véritable moyen de transport, ils coûtent cher pour une grande partie de la population. Il faut attendre longtemps pour pouvoir espérer avoir une place, à en juger par les queues interminables à certains endroits. Ils encombrent les rues (70 % des véhicules qui circulent route de Glass sont des taxis), pour finalement une faible efficacité comparativement à celle qu’aurait un réseau de bus.
L’absence de bus a des conséquences catastrophiques.
Les conséquences de l’absence de transports urbains à Libreville sont catastrophiques. Le coût du taxi ampute d’une façon importante le budget des habitants à faibles revenus. Les travailleurs et travailleuses ne peuvent accéder aux emplois offerts dans les différents quartiers, faute de pouvoir les atteindre facilement et économiquement. Certains enfants ne fréquentent pas les écoles car le taxi est trop cher pour les faibles moyens de la famille, où bien connaissent des temps de transport (attente et trajet) très importants et fatigants, tout cela amputant considérablement leurs capacités d’étudier.
Les embouteillages sont nombreux, du fait d’une circulation importante due pour partie au nombre élevé de taxis, mais aussi du fait de l’anarchie de la circulation et du stationnement. Les temps de trajet varient donc dans des proportions très importantes. L’activité économique et commerciale est ainsi fortement handicapée.
Et si on parlait de transports publics ?
J’ai été, dans le passé, directeur du service exploitation des Transports Urbains de Reims en France. A l’époque, dans les années 80, Reims (200 000 habitants) était parcourue du matin au soir par 100 bus, et l’effectif de l’entreprise de transport était de 440 personnes. C’est dire que, pour une population de l’ordre du million d’habitants à Libreville, 60 bus en circulation et 1061 agents pour les faire circuler, cela pose question.
Un bon réseau de transport public, c’est un bon outil pour le développement de l’agglomération et le bien être de ses habitants.
En Afrique, des villes de la taille de Libreville, se sont dotées d’un bon réseau de transport public, de bus comme par exemple Tanger, d’un BRT (Bus Rapid Transit, des bus circulant sur des voies qui leur sont strictement réservées) comme Dar es Salaam, ou d’un tramway comme Rabat avec ses deux remarquables lignes de tramway, complétées par un important réseau d’autobus. Un réseau de transport public, pour être efficace, doit bénéficier de couloirs réservés, voire de sites propres, c’est-à-dire une partie de la voirie bien protégée de la circulation automobile, où seuls les bus ou les tramways sont autorisés à circuler, et d’une priorité aux différents carrefours. En effet, laisser les bus dans la circulation générale, c’est les noyer dans les embouteillages, avec pour conséquences un mauvais service pour les passagers, et des coûts d’investissement et d’exploitation très élevés.
Les atouts de Libreville.
Or Libreville bénéficie de trois atouts considérables pour la mise en place d’un réseau de transport public performant, qui pourrait servir d’exemple pour les autres capitales africaines. Le premier de ces atouts est constitué, paradoxalement, par la congestion actuelle des voiries.En effet, avec un bon réseau de bus, le nombre de taxis en circulation va diminuer, allégeant d’autant la circulation. L’organisation de la circulation automobile, aujourd’hui anarchique, et du stationnement, lui aussi anarchique, va permettre de faire circuler les voitures et camions dans de meilleures conditions qu’actuellement, tout en ayant besoin de moins d’espace, grâce à une matérialisation à la peinture des files de circulation, d’une largeur adéquate pour bien canaliser les flux de voitures. Du coup, on va pouvoir récupérer de l’espace et le réserver pour les couloirs de bus ou les sites propres, sans augmenter la congestion de la voirie.
Le second atout est constitué par les voiries en bon état sur les axes principaux, ce qui permet d’y faire circuler immédiatement des bus urbains modernes sans craindre leur détérioration rapide. Le troisième atout, ce sont des voiries principales suffisamment larges, comme le boulevard du Bord de Mer et la RN1, pour pouvoir y implanter de véritables sites propres.
L’organisation d’un réseau de transport public performant pour Libreville.
Le tracé des lignes
Pour une agglomération du type de Libreville, un réseau de transport public doit être organisé à la façon Zurich, l’un des réseaux de transport les plus performants au monde :
– des lignes principales de tramway ou de bus, diamétrales ou radiales, desservant les quartiers les plus populeux et le centre ville,
– des lignes de bus de rocade, permettant de relier entre eux des quartiers sans être obligé de passer par le centre ville,
– des lignes de bus inter-quartiers,
– des lignes de minibus pour la desserte fine des quartiers en rabattement sur les autres lignes,
– des correspondances aménagées aux points où les différentes lignes se croisent.
Pour Libreville, le réseau pourrait être constitué de 5 lignes principales:
– Cours Pasteur – RN1 – PK9 Hôpital Omar Bongo Ondimba,
– Cours Pasteur – aéroport Léon Mba – Akanda,
– Démocratie – Port Môle – Frangipanier – Lalala,
– Cours Pasteur – Mont Bouet – Nzeng Ayong,
– Awendjé – Cours Pasteur – Port Môle – Charbonnages.
– 2 lignes de rocade :
– Rocade intérieure : cours Pasteur – Akébé – Nkembo – Université Omar Bongo Ondimba – Cadastre,
– Rocade extérieure : Owendo – Lalala – Voie Express – aéroport Léon Mba –Akanda.
– Des lignes de bus inter-quartiers assurant des liaisons entre différents quartiers,
– Des lignes de minibus de quartiers, connectées aux autre lignes, et desservant finement les quartiers.
Les couloirs et sites propres.
Pour bien fonctionner, ces lignes doivent comporter, le plus souvent possible, des couloirs bus, voire des sites propres. La configuration des rues fait que ce n’est pas possible partout.
Mais cela apparaît possible sur la plupart des axes principaux, compte tenu des largeurs de voirie :
– sur la RN1 : un site propre central, pour bus ou tramway, sur toute sa longueur, les arrêts en centre ville étant implantés dans les endroits où existent des surlargeurs de voirie,
– sur l’axe Frangipanier – aéroport – Akanda : un site propre pour bus ou tramway, latéral coté mer jusqu’à la Voie Express, central ensuite jusqu’à Akanda,
– sur l’axe Démocratie – Port Môle : un site propre central pour bus sur toute la longueur,
– sur la route de Glass entre le Marché d’Oloumi et Lalala : un site propre central pour bus, sur toute la longueur.
Compte tenu de la largeur de la route de Glass entre Frangipanier et le marché d’Oloumi, la solution pourrait consister en un couloir bus central à une seule voie, utilisable dans les 2 sens par les bus, qui pourraient se croiser aux endroits où la sur largeur de voirie permet d’installer une zone de croisement, par exemple à proximité des hôtels Méridien et Glass. Il resterait alors une file de circulation pour les voitures dans chaque sens de part et d’autre du couloir bus. Des couloirs bus, de longueur limitée, pourraient être créés sur la Voie Express en amont de chaque échangeur, et dans d’autres rues.
Quel matériel roulant ?
Il a été proposé, par des entreprises espagnoles, de construire un métro aérien à Libreville. Mais cette solution est coûteuse. De nombreuses villes africaines ont préféré s’équiper d’un tramway moderne, moins coûteux et tout aussi efficace. Compte tenu des possibilités d’implantation de sites propres, un tramway moderne est tout à fait possible à Libreville pour les deux lignes les plus importantes, Cours Pasteur – aéroport Léon Mba – Akanda et Cours Pasteur – RN1 – PK 9 Hôpital Omar Bongo Ondimba, cette dernière apparaissant d’ailleurs comme la plus facile à réaliser. Des tramways de 75 mètres de long, tels qu’il en circule en Europe ou aux USA, offriraient une grande capacité de transport. On notera que l’on sait construire une ligne de tramway en trois ou quatre ans. Pour ces 2 lignes, avant l’arrivée du tramway, et pour les autres lignes principales, il faut des bus urbains de grande capacité, avec de larges portes permettant un échange facile et rapide des voyageurs. Sur les lignes les plus importantes, la solution du bus avec remorque, qui connaît un certain succès en Allemagne notamment à Munich, pourrait être retenue.
Elle présente de nombreux avantages : capacité presque égale à celle d’un bus bi-articulé de 25 mètres mais un coût moindre, pas d’articulations fragiles, possibilité de détacher la remorque pendant les heures creuses d’où économie de carburant, possibilité de faire construire une partie de la remorque localement comme cela s’est fait à Tallinn en Estonie.
Libreville saura t-elle prendre les bonnes décisions ? Alors, Libreville saura t-elle prendre aujourd’hui les bonnes décisions pour figurer demain dans le peloton de tête des villes africaines bien desservies par des transports publics modernes et performants ?
PIERRE DEBANO
Expert en Transport Public (Bus/Tram/Train)
pdebano@laposte.net