A la suite du Conseil des ministres du 23 mars 2021, le Gouvernement a adopté un projet de loi portant déclaration d’utilité publique de la parcelle n°10 située à Ikolo dans la province du Moyen-Ogooue. , et ceci dans l’optique de créer une nouvelle zone économique à régime privilégié « ZERP ».
Après la réalisation de la zone économique spéciale de Nkok opérationnel dans la province de l’Estuaire, le Gouvernement projette donc d’ouvrir quatre autres nouvelles zones économiques à régime privilégié « ZERP », dont une dans le Moyen-Ogooué, une seconde dans le Haut-Ogooué, une troisième dans l’Ogooué-Maritime et une quatrième dans le Woleu-Ntem qui doit accueillir le projet de la zone économique spéciale dite des trois frontières à l’angle entre le Gabon, le Cameroun et la Guinée-Equatoriale.
Nonobstant ce qui précède, avant d’envisager de multiplier la création de zone franche dans cinq provinces sur neuf, le gouvernement ne devrait-il pas d’abord procéder à un audit transparent de la zone économique spéciale de Nkok en termes de bénéfices et risques, d’opportunités et de menaces?
Autrement dit, dans un contexte de décroissance budgétaire dû à la crise économique et sanitaire qui nécessite le recours au FMI, la prolifération des ZERP ne risque-t-elle pas de générer une économie gabonaise à deux vitesses avec le risque d’accroître les déficits des finances publiques? Plus encore, la multiplication de projet de ZERP sur le territoire gabonais est-elle basée sur des considérations plus affairistes qu’économiques ?
En théorie, la création d’une zone économique à régime privilégié « ZERP » qui fonctionne comme une zone franche dotées des avantages particuliers est un dispositif qui est censé attirer plus d’investisseurs étrangers dans l’optique de favoriser l’implantation de nouvelles chaînes de valeur, d’accroître les capacités de production nationale, de booster la croissance économique et d’augmenter la création d’emploi domestique.
Dans la pratique, selon une étude de la Banque Africaine de Développement « BAD », « l’établissement de ces zones est une entreprise complexe, et l’expérience de l’Afrique a mis au jour des risques et des coûts des échecs ». Toujours d’après ce rapport de la BAD, la création des ZERP doit s’appuyer sur un marché avec un minimum de capacités nationales, et dans les situations de fragilité, il existe un risque accru de voir les ZERP tomber entre les mains d’intérêts catégoriels.
Au Gabon, le décret 0931/PR portant promulgation de la loi N°10/2011 relative à la création des ZERP ressemble plus à celle de la mise en place d’un « paradis fiscal » intra muraux qu’à celle d’une zone économique spéciale classique.
Et pour cause, la loi N*10/2011 qui réglemente les ZERP est truffée d’exonérations mirobolantes et de gratuités en tout genre, de telle sorte qu’on peut affirmer que les personnes physiques et morales associés opérant dans la zone économique de Nkok disposent d’une immunité commerciale, fiscale, douanière et sociale.
Pour preuve, l’article 15 et suivants de cette loi relative aux zones économiques à régime privilé « ZERP » dispose que « les sociétés admis au régime de la ZERP bénéficient de l’exonération de l’impôt sur les bénéfices « IS, IMF », de l’exonération de TVA, de l’exonération de l’impôt sur les revenus des capitaux « dividendes et plus-values », de l’exonération de toutes retenues à la source, de l’exonération de toutes les contributions foncières, de l’exonération de tous droits, taxes et redevance douanière, de l’exonération des impôts, taxes et redevances perçu au bénéfice du Conseil Gabonais des Chargeurs, de la Direction Générale de la concurrence et de la consommation et de toute autres entités administrative, et ceci pendant une durée allant jusqu’à 25 ans à partir de la première vente.
Comme cerise sur le gâteau, la loi N*10/2011 stipule également que les importations réalisées par les investisseurs admis au régime spécial de la ZERP ne sont assujetties à aucune licence, ni autorisation ou limitation de quotas.
A mon humble avis, la généralisation des ZERP sur le territoire national, avec leurs lots d’avantages prévus par la réglementation en vigueur, n’est pas une bonne nouvelle pour l’économie gabonaise car la multiplication de ces enclaves fiscales nuisent au libre jeu de la concurrence et elles peuvent déboucher sur des pratiques déloyales voire servir d’instrument d’évasion fiscale et de détournement des recettes publiques.
Pour la zone économique spéciale de Nkok gérée par une société privée, l’Etat gabonais a consenti d’énormes sacrifices en offrant une parcelle de 1390 hectare et en accordant des financements et des privilèges d’exonération commerciale, fiscale et sociale prévues par la loi n*10/2011.
En contrepartie des exonérations consenties par l’Etat gabonais, la ZES de Nkok aurait attiré plus de 80 entreprises enregistrées dont 62 opérationnelles et 27 en cour d’installation, et ceci pour un montant d’investissement direct cumulé d’environ 700 milliards F.cfa. Les entreprises implantées à Nkok proviennent en majorité de l’Inde, la Malaisie et la Chine, et dans une moindre mesure de divers pays dont l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, la France, le Cameroun, le Mali, le Bénin.
S’agissant de la société privée qui exploite la zone de Nkok, elle tire d’importants revenus de la vente ou de la location de terrain, bâtiments ou hangars, auxquelles s’ajoutent les ressources financières encaissées au titre de la délivrance des agréments ouvrant droit aux bénéfices des exonérations de la ZERP. Les bénéfices et les plus-values réalisées par cet organe privé qui gère la zone spéciale de Nkok sont exonérés de tous impôt, taxes et redevances.
Compte tenu de ce qui précède, il est clair que les investisseurs et la société privée qui pilote la ZES Nkok tirent un énorme profit des privilèges consentis par l’Etat gabonais, mais qu’en est-il du retour sur investissement escompté par le pays ?
A propos de l’Etat gabonais, les effets de la ZES de Nkok sur les exportations sont limitées au regard de l’évolution de la balance de paiement depuis la création de cette zone franche.
Par ailleurs, les retombés en termes d’emplois sont mitigés comparativement aux pertes financières subies suite aux exonérations totales d’impôts et de taxes accordés aux sociétés fiscalement implantées dans la zone franche de la Nkok.
Sachant que le Gabon tire l’essentiel de ces revenus de l’exportation des matières premières qui servent de locomotive pour le reste de l’économie, si le Gouvernement ouvre des ZERP dans cinq provinces sur neuf, et que toutes les entreprises exportatrices s’installent dans ces enclaves fiscales, que restera-t-il dans les caisses de l’Etat Gabonais ?
Par conséquent, avant d’envisager de créer de nouvelle ZERP, le gouvernement devrait d’abord commander une étude d’évaluation sur les effets macroéconomiques et sectoriels de la zone économique spéciale de la Nkok en termes d’impact sur les finances publiques, la croissance du PIB et le développement national.
Willy ONTSIA
Expert Financier et Banquier de formation.
Ex-DG de la BVMAC
Ex- DG BGFI INVESTMENT BANKING
Consultant en banque, finances et marché de capitaux.