Nous avons tous entendu les fournisseurs nous dire au moment des négociations : « Le volume d’affaires est trop faible pour vous faire bénéficier de remises plus importantes ou de tarifs plus compétitifs ». Or l’un des leviers majeurs de l’acheteur reste l’effet volume. Dès lors, comment expliquer la taille de certains panels ? Les raisons en sont multiples : historiques, politiques, stratégiques, économiques, technologiques… Il devient donc nécessaire et urgent de définir la rationalisation du panel fournisseurs comme l’un des grands axes de la politique achats. Les enjeux sont multiples non seulement d’ordre financier mais également en termes de qualité, de réduction des délais, de maîtrise du risque et d’amélioration des produits.
1 – Pourquoi le panel fournisseurs s’est développé au fil du temps ?
Le développement de l’entreprise et l’augmentation ou la rotation du nombre d’acheteurs au service achats a généré un nombre croissant de fournisseurs référencés.
A ces fournisseurs référencés il convient de rajouter des fournisseurs non référencés auprès desquels des services ont effectués des « achats sauvages » c’est-à-dire en dehors de toute procédure.
2 – Quels sont les coûts générés par ce panel ?
La multiplication du nombre de fournisseurs génère automatiquement l’augmentation des différents coûts administratifs liés au panel.
• D’une part les coûts de gestion du panel fournisseurs estimé entre 800 et 1000 euros (525 000 et 655 000 Fcfa) qui concerne plus particulièrement les dépenses de référencement et également celles liées à la mise à jour
de la base de données.
• D’autre part les coûts de passation de commandes comprises entre 30 et 100 euros (20 000 et 65 500 Fcfa) qui sont les coûts administratifs d’une commande (achats- réception marchandises et comptabilité fournisseurs).
La somme annuelle de ces coûts n’est pas négligeable et amène les entreprises et leur service achats à réduire le panel fournisseurs car cette réduction permet de diminuer les coûts administratifs mais surtout devient un véritable levier auprès des fournisseurs restants.
3 – Pourquoi réduire le panel fournisseurs ?
La réduction du panel fournisseurs est un levier bien connu des acheteurs. En effet, le montant total des achats étant réparti sur un nombre restreint de fournisseurs donne à l’acheteur un pouvoir de négociation qui aboutit généralement à une réduction des prix.
Au-delà de ces bénéfices purement financiers, la réduction du panel fournisseurs permet aux acheteurs une meilleure gestion quotidienne de leur charge de travail pour améliorer leur productivité. De plus l’optimisation du panel amène aussi les fournisseurs à augmenter leur implication notamment en participant activement à l’innovation, en améliorant la qualité et la ponctualité des livraisons et ceci dans le but de maintenir les relations commerciales avec son client.
Attention cependant à ne pas réduire son panel plus que la situation ne l’impose.
Il faut veiller à conserver une logique industrielle, à opérer des regroupements intelligents : par métier, par technologie…
Chaque suppression doit être réfléchie et discutée : pourquoi supprimer tel fournisseur ? Quels sont les enjeux, les gains possibles, les risques pour le futur ?
Si réduire son panel fournisseurs relève de la politique générale de l’entreprise celle-ci doit être mûrement réfléchie. En effet, cette stratégie doit être cautionnée par l’ensemble des acteurs de l’entreprise tout d’abord parce que chacun a un rôle spécifique à faire valoir, mais également parce que c’est une action à long terme qui nécessite la mobilisation de ressources humaines conséquentes.
4 – Comment réduire son panel ?
Avant d’entrer dans le vif du sujet il est important de définir quelques notions
de base :
➢ Quand un fournisseur est-il comptabilisé au panel ?
✓ Lorsqu’il fournit des matières premières, des pièces en nomenclature
ou qu’il exécute un travail de sous-traitance
✓ Lorsqu’il existe une commande ouverte et au moins une livraison par an
✓ Lorsque le fournisseur est externe.
➢ Quand un fournisseur est-il comptabilisé comme supprimé du panel ?
✓ Lorsque la commande ouverte a été fermée
✓ Lorsque la dernière livraison a été effectuée
✓ Lorsque la dernière facture a été honorée.
Quels sont les préliminaires à la suppression des fournisseurs ?
La méthode ABC (Activity Based Costing) consiste en un croisement du nombre
de fournisseurs et du chiffre d’affaires.
Principe : cette loi permet une mesure très précise des coûts et des performances d’achats. Il convient de distinguer trois types d’achats, répartis en autant de segments :
➢ Identifier les fournisseurs « candidats » à la suppression
Deux contraintes importantes à prendre en compte :
• La mesure de la performance fournisseur
Avant d’envisager de réduire le panel fournisseur il est impératif de mettre en place la mesure de la performance fournisseurs car sans cette mesure le risque est de sortir des « bons fournisseurs » et de garder les « mauvais ».
Ainsi on pourra déterminer les fournisseurs avec lesquels la société ne souhaite plus travailler. La pertinence de cette étude conditionne la réussite de l’opération.
Mais pour éviter les erreurs il est important d’associer l’ensemble de l’entreprise. La participation de tous est primordiale, tout d’abord pour collecter le maximum d’informations mais aussi pour légitimer la suppression de certains fournisseurs.
On peut déterminer une liste non limitative des interlocuteurs à rencontrer et d’informations pertinentes :
➢ La réception / le contrôle :
✓ Respect des délais de livraison
✓ Conformité des livraisons aux commandes…
➢ La qualité :
✓ Respect des procédures
✓ Audit des sites de production…
➢ L’exploitation :
✓ Problèmes rencontrés
✓ Contact avec les services techniques des fournisseurs…
➢ Les achats :
✓ Niveau des prix
✓ Services annexes…
➢ La comptabilité :
✓ Litiges de facturation
✓ Respect des conditions générales d’achat…
Pour collecter les données venant de ces sources différentes il peut être opportun d’effectuer des regroupements de fournisseurs en recherchant des dénominateurs communs :
✓ Même technologie (découpe, injection…),
✓ Mêmes produits (fixations, packaging…),
✓ Même application
• Le taux de dépendance fournisseurs
Lorsque le taux de dépendance du fournisseur est supérieur à 30 % le risque pour le fournisseur est de le mettre dans une situation financière délicate qui peut l’amener jusqu’au dépôt de bilan notamment si vous le sortez très
rapidement de votre panel.
De plus en France le fait d’avoir un taux de dépendance supérieur à 30 % chez un fournisseur, vous impose des règles strictes pour le sortir de votre panel sauf à prouver que ce fournisseur ne répond pas à vos exigences.
➢ Evaluer la faisabilité d’une suppression
La faisabilité d’une suppression est fonction de nombreux paramètres. Il est certes impossible d’en maîtriser l’ensemble, mais prendre en compte le maximum d’éléments permet de se faire une idée assez juste des moyens à mettre en
œuvre pour piloter une suppression. Parmi ces éléments, citons le nombre de références concernées, la spécificité
des produits, la nécessité d’utiliser des outillages spécifiques, l’état concurrentiel du marché, etc…
5 – Les méthodologies disponibles
L’extinction de références
• D’une part il convient de sortir de l’ERP les références qui n’ont pas été mouvementées depuis plus de X années sauf si la gestion des stocks ou le prescripteur précise que cette référence est encore nécessaire.
• Une attention particulière est préconisée afin de ne pas oublier d’identifier d’éventuelles autres références livrées à l’entreprise par ce même fournisseur, ce qui pourrait compromettre la suppression du fournisseur.
• Les références avec de très faibles mouvements. Dans ce cas il est nécessaire de vérifier avec la logistique l’exploitation et l’après-vente, ceci afin de se faire une idée des quantités nécessaires avant son extinction. Le cas échéant il faudra constituer un stock d’extinction.
Le passage d’un fournisseur de rang 1 à rang 2 Il s’agit de faire gérer un fournisseur par un autre fournisseur. Le fournisseur
éliminé devient par conséquent fournisseur (rang 2) du fournisseur de (rang 1). Il s’agit alors dans les faits d’un transfert de gestion. Il faut néanmoins s’assurer que le fournisseur de rang 1 a compris ce qui lui a été demandé : il ne s’agit pas que d’une gestion administrative (passage de commande et réfacturation). Le fournisseur de rang 1 est également garant du fournisseur
de rang 2 et par conséquent en est responsable.
Les coûts de gestion approchent généralement 10% du chiffre d’affaires fait avec le fournisseur de rang 2. Mais globalement en diminuant tous les frais de gestion d’un fournisseur la perte sera très faible voire nulle.
Le resourcing
L’idéal reste de traiter plusieurs fournisseurs à la fois, afin de faire jouer l’effet volume bien que l’on parle généralement dans ce cas de petites séries. Il est conseillé de ressourcer chez un fournisseur déjà au panel, mais ce n’est pas une nécessité : rentrer un fournisseur au panel peut être intéressant s’il permet la suppression de plusieurs autres. Dans tous les cas ne sous-estimez pas la logique industrielle !
Cette méthodologie peut être très lourde, notamment lors du transfert de pièces techniques : déplacement d’outillages, réalisation de stocks de sécurité, audit du nouveau fournisseur, présentation d’échantillons initiaux représentatifs de la série, validation des produits en interne.
6 – Les outils à utiliser
Les tableaux de bord
Ce sont des outils indispensables à la réussite du projet. Il s’agit avant tout d’une mission de pilotage, il est donc impératif d’avoir à la fois une vision globale et synthétique du travail déjà fait et des tâches à venir eu égard au grand nombre
de fournisseurs (parfois plusieurs centaines) et de références (de quelques centaines à plusieurs milliers).
• Un tableau de bord fournisseur :
Ce tableau liste l’ensemble des fournisseurs au panel ainsi que nombre d’informations utiles :
✓ Chiffre d’affaires
✓ Métier
✓ Typologie d’extinction
✓ Date de sortie du panel prévisionnelle
✓ Planning…
• Un tableau de bord des références fournisseurs :
Ce tableau liste l’ensemble des références des fournisseurs au panel ainsi que le nombre d’informations utiles :
✓ Fournisseur
✓ Désignation produit
✓ Quantités sur 3 ans
✓ Prix
✓ Chiffres d’affaires…
Le reporting
Outil indispensable pour présenter de manière claire, concise et synthétique les résultats mois après mois. Il doit présenter le nombre de fournisseurs, le nombre d’entrées et de sorties du panel fournisseurs mois après mois et par
typologie, les objectifs pour le mois suivant, les écarts entre le prévisionnel et la réalisation…
Il est important de se limiter à un nombre restreint de tableaux, la multiplication des bases de données entraînant irrémédiablement l’effet inverse
à celui escompté :
✓ Dispersion de l’information
✓ Niveaux d’informations différents selon les interlocuteurs
✓ Saisie fastidieuse…
7 – Les enjeux
Lorsqu’elle est bien menée, la réduction du nombre de fournisseur génère de nombreuses conséquences positives pour l’entreprise.
Des gains immédiats
• La globalisation des achats
Par la globalisation des volumes d’achats, l’acheteur va pouvoir imposer plus facilement ses conditions à son fournisseur. Ces gains sont quantifiables immédiatement et se résument à une banale soustraction :
Economies = Prix avant réduction – (Prix après réduction + Coût de transfert)
• La suppression de références :
La réduction du panel est l’occasion de supprimer un certain nombre de références (doublons, produits en fin de vie…). Ces gains bien qu’immédiats ne sont pas les plus intéressants.
Des gains à moyen terme Chacun sait que la gestion d’un fournisseur entraîne un coût annuel important.
Ce coût comprend :
✓ La gestion comptable
✓ La gestion informatique
✓ La gestion logistique
✓ Les audits…
Or, la réduction du panel permet une simplification des processus associés.
Des gains à plus long terme
Ces gains sont très difficilement quantifiables car très aléatoires. Nous pouvons tout de même évoquer une meilleure maîtrise de la qualité, une relation plus aboutie avec chacun des fournisseurs, une gestion des stocks optimisée et un risque maîtrisé.
8 – Les risques
Le manque de communication
Le pilotage occupe une grande partie du temps. Aussi est-il extrêmement important de savoir communiquer, pour légitimer son travail, faire adhérer les interlocuteurs, et justifier sa présence.
A ce titre, deux points sont essentiels :
✓ Il faut être présent sur les sites de production, s’assurer sur le terrain que les nouveaux fournisseurs en place mettent en œuvre une qualité de produits et de services au moins équivalente à la situation précédente (dans le cas contraire, réagir rapidement).
✓ Il faut également être représenté lors des différentes coordinations, participer aux Comités et ne pas hésiter à communiquer sur des résultats explicites, indicateurs appropriés à l’appui.
Le désengagement
Le désengagement auprès de certains fournisseurs peut poser plusieurs problèmes :
• D’un point de vue juridique :
Comme je l’ai évoqué plus haut, la loi prévoit qu’une société ne peut représenter plus de 30% du chiffre d’affaires d’une autre société.
• D’un point de vue contractuel :
Dans le cas d’un désengagement conflictuel, le fournisseur peut obliger la société à racheter l’ensemble du stock, à racheter des outillages, à honorer d’anciennes factures… Il est donc impératif de faire signer un protocole de désengagement au fournisseur pour éviter toutes surprises désagréables.
9 – Conclusion
Après avoir vécu une dispersion du panel fournisseur selon la règle : « Une référence = le meilleur produit au meilleur coût dans les meilleures conditions », il convient maintenant de raisonner plus globalement et à plus long terme, en ne
s’arrêtant pas uniquement au niveau des prix, mais en prenant en compte l’ensemble des paramètres sur lesquels la fonction achats peut influer. Pour cela, réduire son panel fournisseur est devenu plus qu’une mode, une nécessité. Cependant, la réduction du panel est une arme à double tranchant :
✓ Réussie, elle satisfera l’ensemble de l’entreprise la situation s’améliorant pour chacun : la logistique, l’exploitation, les achats, la comptabilité…
✓ Mal conduite, elle peut s’avérer désastreuse : ruptures de stock à répétition, arrêt de la production, non-qualité récurrente…
Louis LANGUENOU
Consultant achats
Formateur