Le célébrissime magazine d’actualité économique African Business a ouvert ses colonnes à Marc Gaffajoli, Administrateur directeur général de la compagnie aérienne Afrijet. Une interview dans laquelle il évoque l’expérience de sa compagnie leader de la sous-région pendant la crise de la covid-19, non sans présenter les perspectives pour Afrijet mais plus globalement pour l’industrie aérienne africaine. Entre la baisse de son chiffre d’affaire de 55% pendant la crise, les services qui lui ont permis de sortir la tête de l’eau, la nécessité de modernisation des infrastructures et la gangrène des redevances aéroportuaires, Marc Gaffajoli dit tout ou presque dans cette interview fleuve du meilleur magazine panafricain de Business.
African Business: Comment s’est passée l’année dernière en termes de demande et de nombre de passagers ?
Marc Gaffajoli: 2020 fut terrible. Après un début d’année prometteur et une croissance à deux chiffres, nous avons dû faire face à 4 mois d’interdiction d’activité et 5 mois de fortes contraintes liées à la pandémie. Au final, nous nous tirons avec 55% de chiffre d’affaires en moins et 65% de baisse de trafic en comparaison à 2019, qui était, il est vrai, un bon cru. C’est peu ou prou la moyenne de l’industrie. En Afrique, il y a toutefois eu un niveau supérieur de restrictions gouvernementales touchant notre métier mais aussi un trafic moins volatile qu’ailleurs. Sur le continent, le motif de voyage est souvent lié à un besoin fondamental, sur le plan de la famille, de la santé ou du commerce.
Quelles sont vos perspectives pour les six à douze prochains mois ?
Afrijet opère actuellement un redressement par pallier au fur et à mesure que les restrictions s’allègent. Nous préparons en parallèle le démarrage d’une nouvelle phase d’expansion 2022/2025 et espérons tirer les fruits des efforts importants de réduction des coûts que nous avons consentis. Nous avons préservé l’outil opérationnel, le capital humain et sommes prêts à rebondir.
Si vous étiez nouveau dans le secteur, vous choisirez de vous concentrer sur: les vols commerciaux, le jet privé, ou le fret ?
Si j’étais nouveau dans le secteur, je choisirais de ne pas me concentrer ! Les modèles économiques les plus résilients de cette crise sont en effet ceux qui étaient construits sur un portefeuille équilibré d’activités. Notre stratégie est fondée depuis 2016 sur deux moteurs : le vol d’affaires à la demande et le transport aérien régulier. C’est ce qui nous a permis de résister jusqu’alors. Les vols de rapatriements et les charters en relation avec la pandémie ont par exemple généré de l’oxygène pour notre trésorerie, à des moments décisifs. Nous avons lancé début 2021 une troisième ligne de service avec le cargo dans cet esprit. Nous croyons dans le fret aérien pour la décennie qui s’ouvre, sous l’effet du développement du e-commerce notamment.
Les coûts associés du transport aérien sont encore trop élevés sur le continent ; voyez-vous des solutions rapides pour le rendre plus compétitif et mieux aider les compagnies aériennes ?
Moderniser les infrastructures de navigation aérienne, cesser l’inflation des redevances aéroportuaires, favoriser l’implantation de centres de maintenance aéronautiques africains, mieux réglementer l’activité des agences de voyage … voilà des pistes pour les autorités afin d’abaisser le coût des billets, qui sont parfois constitués jusqu’à 60% de taxes diverses
Les compagnies ont aussi leur part de travail : accélérer la digitalisation de la distribution jusqu’au processus interne et mieux travailler ensemble en se positionnant sur la chaîne de valeur exploitation / commercialisation selon les routes.
Comment les régulateurs peuvent-ils aider l’industrie aéronautique et les entrepreneurs comme vous ?
Les délais de mise en service des appareils sont un véritable problème en Afrique. Ce devrait être la première priorité de toutes les Autorités de régulation : un avion qui attend au sol des semaines ou même des mois, l’accomplissement des diligences réglementaires, c’est une forte destruction de valeur. Les inspecteurs sont rarement dédiés à ces tâches, ce qui allongent le processus. Les régulateurs sont également insuffisamment subventionnés par les Etats, ce qui pour conséquence le développement d’une parafiscalité, sous forme de facturation de services et de redevances, qui affectent in fine le prix des billets.
L’industrie aéronautique travaille-t-elle ensemble pour rendre les vols en Afrique plus sûrs, plus faciles et plus abordables ?
L’Afrique a, malgré les stéréotypes, développé un transport aérien sûr depuis une décennie. Il y a certes quelques États en retard, mais au global, la flotte africaine s’est fortement modernisée, sur tous les types d’avions. De plus en plus d’acteurs, dont nous sommes, accèdent également au standard IOSA qui est reconnu comme le niveau le plus élevé de sécurité aérienne.
La question d’un transport abordable reste un chantier, mais il ne faut pas oublier que le principal levier de réduction des coûts est le volume de passagers. Avec seulement 2,5% du trafic mondial réalisé sur le continent, il faut laisser un peu de temps en temps …